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Le triste sort de l'Alvec

Le meilleur moyen de se faire une idée d'un livre est de pouvoir lire quelques pages car un résumé est un exercice délicat où le style de l'auteur, son rythme, sa syntaxe, ne sont pas forcément respectés. Comme une bande-d'annonce peut véhiculer une mauvaise idée du film en question.

Vous trouverez donc ici le premier chapitre de la nouvelle le triste sort de l'Alvec. La nouvelle dans son intégralité est disponible gratuitement en pdf tout à la fin de cet article afin de vous permettre de vous faire une idée de mon ouvrage avant de vous le procurer.

 

Bonne lecture à vous.

 

- Le triste sort de l’Alvec -

 

Chapitre I

 

« - Quel malotru ! Il n’y a donc aucune considération pour ma personne ? On me force à être sur cette cage flottante secouée dans tous les sens, j’y dévore les vers qui infestent la nourriture et le bois, j’offre mes œufs et c’est ainsi qu’on me récompense ? D’un coup de pied au derrière ! » C’est sans doute ce que doit penser la poule écartée avec négligence du chemin de l’homme qui remonte sur le tillac. Elle agite les ailes et pousse des petits cris aigus en signe de protestation en rejoignant les siennes. L’ambiance dans le pont inférieur du Lovrac n’est pas à la joie. Pendant plusieurs jours que le navire a été malmené par les vents et la mer. Si bien que les marins, pourtant habitués à la fureur des éléments, n’arrivaient à trouver le sommeil dans leur branle que grâce à la fatigue qui leur permettait d’oublier le déchirement du tonnerre, le roulis excessif, le hurlement du vent et le tambourinement de la pluie sur le pont. Mais même si les esprits ont fini par s’apaiser un peu, la vie à bord est toujours difficile. Tout n’est qu’humidité, pas moyen de se mettre au sec, le feu de la cuisine a été éteint pour des raisons évidentes de sécurité, on mange froid depuis des jours, on dort mal avec les écoutilles fermées rendant l’air vicié. Bref tout le monde est de la même humeur que cette pauvre poule qui, elle, doit subir tout cela sans avoir le droit de pouvoir s’exprimer dessus.

Dehors le vent est retombé, bien qu’il demeure fort. La goélette a commencé à se rhabiller de quelques voilures, raccourcies de deux ris néanmoins, et avance dans une mer formée par une forte houle qu’elle doit monter et redescendre comme des petites buttes en roulant bord sur bord et frappant l’eau de son étrave. L’homme peu aimable avec les poules est un grand gaillard qui n’a pas grande allure avec sa petite barbe négligée, ses cernes, son teint blafard et ses vêtements sales. Il avance péniblement en boitant sur le pont mouillé et va voir son supérieur qui se trouve près des timoniers.

« - Alors ? » demande Cruitdel.

« - On a fait de notre mieux chef. Y’aura malheureusement des pertes. L’eau a endommagé quelques sacs et paquets. Mais on a bien asséché la cale il devrait plus y avoir de souci maintenant. Aussi sec qu’un tonneau après une fête.

- Ja Yersel. C’est regrettable pour la perte mais bon boulot Arno. » Le cambusier hoche la tête et reporte son regard sur la mâture sous toilée.

« - Vous savez quand on sera à la maison ? » finit-il par demander, devant élever un peu la voix pour couvrir le vent, qui bien que moins violent continue de siffler sa mélodie dans les oreilles.

« - Aucune fichue idée, faut voir ça avec la capitaine. Tiens quand on parle du loup… »

Au même moment Mara fait son apparition sur le pont, elle relève le col de son manteau pour se couvrir un peu et s’en va d’un pas décidé. Elle salue d’un signe et d’un demi sourire aimable son second capitaine ainsi qu’Arno. Eirwyn lui répète la question qu’on vient de lui poser faisant disparaître le sourire de Mara qui prend un air renfrogné.

« - Mes tripes que j’en sais quelque chose ! Sang noir, on a été baladé aux quatre vents selon les caprices des esprits ! - répond-elle entre résignation, moquerie et colère - On va serrer un peu plus le vent, ça limitera le roulis, et si on maintient la route au Sud on devrait atteindre les Feriona. Enfin j’espère.

- On y sera dans combien de temps ?

- Mais t’es un curemolle ma parole ! J’en sais rien, c’est impossible de faire un point avec ce ciel ! - répond-elle au cambusier - On y sera quand on y sera, crois-moi j’ai autant envie que toi de dormir dans un lit qui n’a pas l’air d’hésiter à me jeter à terre à chaque coup de roulis. Allez va te reposer, tu dors sur place. »

Elle le gratifie d’une tape sur le bras tandis qu’il prend congé des deux officiers. Seuls, hormis la présence des deux timoniers nécessaires pour gouverneur la barre franche dans cette mer agitée, ils observent le pont de leur navire. Il est balayé par des vents chargés d’embruns, heureusement depuis la veille les vagues ont cessé de s’écraser dessus, balayant tout sur leur passage. Elles ont risqué d’emporter plus d’un marin comme si la mer voulait les prendre. Peut-être était-ce vraiment ce que le wenga de ces eaux réclamait avant de se lasser de ce petit jeu et se montrer clément ?

« - Cette brave goélette a connu pire mais j’ai bien cru qu’on allait chavirer. » dit calmement Eirwyn avec une pointe d’excitation dans sa voix.

« - T’es pas le seul. Il a pris des sales coups, y’aura pas mal de chose à réparer. » constate-t-elle en soupirant lourdement. La partie supérieure du mât de misaine s’est cassée dans la tempête, d’après le charpentier plusieurs bordés sont en mauvais état et il serait sage de remplacer les planches ainsi que de nombreux accastillages et manœuvres qui ont été soumis à des efforts intenses ces derniers jours. À peine a-t-elle fini de se remémorer le compte-rendu des artisans du bord que la vigie se fait entendre. Une femme, les pieds dans le vide, un porte-voix en cuivre dans les mains, hurle de tous ses poumons en pointant du doigt une direction. « Un navire ! Sur bâbord ! Pas très loin ! Je dirais moins de cinq encablures. » Une telle annonce sur un navire pirate éveille forcement la curiosité. Même si les cales du Lovrac sont bien chargées, il y a encore de la place, bien que les conditions de la mer ne se prêtent pas du tout à un abordage. Mara monte dans la mâture, la main ferme et le pied sûr, et rejoint la vigie. Elle doit savoir s’ils peuvent tenter une fois de plus leur chance ou s’il faut abattre rapidement et fuir un prédateur plus gros qu’eux. Guidée par les indications de la première femme elle finit par apercevoir au sommet d’une vague le navire en question. Après plusieurs apparitions furtives, disparaissant dans le creux des éléments, elles peuvent déterminer avec certitude qu’il s’agit d’un gros bâtiment à la dérive, dont les voiles s’agitent en lambeaux dans le vent.

 

Mara ordonne de faire route sur le navire, envoyant en même temps dans la mâture une autre vigie pour aider la première à ne pas perdre de vue leur proie. L’équipage est dans une demie effervescence, curieux, ne sachant pas s’il doit se préparer au combat, regrettant pour certains la prise de risque les obligeant à devoir lutter contre la mer pour atteindre leur destination. Les marins puisent dans toutes leurs forces pour raidir les cordages, certains glissent sur le sol tellement leurs jambes ont du mal à les supporter sur ces planches mouillées. Mais à mesure qu’ils s’approchent ils peuvent mieux distinguer la raison de leur activité. Une flûte, ronde et massive, ballottée dans la houle.

À l’aide des longues vues les officiers scrutent ce trois-mâts d’où ils ne remarquent aucune activité, pas une main pour régler les voiles qui s’agitent comme des mouchoirs déchirés. Personne à la barre, pas un mouvement sur le pont autre que celui des cordages dans le vent. À distance raisonnable, Mara ordonne de faire hisser le pavillon d’assistance. Une voix serait vite emportée par le vent avant d’atteindre son destinataire. En Elrum il n’y a pas de langue universelle en mer, ni à terre, cependant ses usagers ont fini par adopter un pavillon commun pour demander et proposer une assistance. Ce dernier est hissé au grand mât, complètement si on demande de l’aide et à mi-hauteur si on veut l’offrir. Le navire interrogé n’aura qu’à hisser à son mât ce même pavillon jusqu’en haut s’il accepte et qu’à mi-hauteur s’il refuse. Un usage fréquent dans certaines mers de ce monde est d’utiliser un vêtement ou deux pavillons uniformes de couleurs différentes, l’un au-dessus de l’autre, si on ne peut pas présenter le pavillon d’assistance. Inutile de préciser que plus d’un fourbe a su utiliser ce moyen pour attaquer par surprise d’autres navires qui les ont ainsi permis de s’approcher…

À une encablure de la flûte, la goélette attend. La question posée par le Lovrac demeure sans réponse. Le pavillon rayé jaune et blanc claque violemment dans les airs pendant plusieurs minutes, avant que Mara n’ordonne de faire charger à blanc un canon, et de tirer espérant attirer l’attention de gens qui pourraient s’être terrés dans la flûte. Mais après que la détonation ait retenti, l’autre navire continue à ne pas montrer le moindre signe d’activité. L’attente ne dure pas beaucoup plus longtemps, tenir le cap est difficile et le navire tend à prendre beaucoup de gîte, risquant de partir au lof. La capitaine fait redescendre le signal. Il n’y a plus personne à bord.

« - Ifsan, fais préparer la chaloupe ! Avec quelques gars on va aller dessus !

- Pisse au vent ! Je te demande pardon ? C’est un temps à décoiffer la chaloupe et envoyer tout son équipage par le fond ! Sans parler du fait qu’on pourra jamais la récupérer avec une houle comme ça. » proteste la femme noire.

« - Dis pas d’ânerie. Fais frapper des aussières, quatre si tu veux, à la chaloupe. Pas des trop épaisses par contre. Vous les laisserez filer en attachant l’autre extrémité ici. Comme ça vous n’aurez qu’à les tirer pour nous aider à revenir. » La bosco se tenant à un cordage, regarde incrédule sa capitaine et ses idées saugrenues.

« - Et qui va aller nourrir les poissons ? » grogne-t-elle avec provocation.

« - Moi et quelques volontaires. La houle est forte mais la chaloupe peut la tenir. J’aurais préféré m’approcher avec le Lovrac mais il risque d’avoir de la casse.

- J’suis de cet avis mais je suis aussi de l’avis de pas s’attarder ici.

- Y’a plus une âme à bord. On peut venir se servir et si y’a des survivants on pourra toujours leur porter assistance, contre leur or évidemment. Que l’abysse m’emporte de pas les aider dans ce cas ! » La maître d’équipage aurait bien craché par terre mais ne voulant pas que son glaviot lui retombe au visage par ce temps, elle se contente de lever les yeux au ciel et répondre qu’elle fera de son mieux. Ça ne sert à rien de discuter, la capitaine joue les grands élans de courage et de noblesse. Ça lui coûtera la vie un jour pour trois sous. Tant qu’il n’y a que des volontaires qui la suivent dans cette entreprise périlleuse, la maître d’équipage ne peut que souhaiter le plus sincèrement du monde qu’ils reviennent en vie. Elle espère qu’Alessa la ramène à la raison mais cette dernière partage les rêveries d’aventures et se contente de lui prier d’être prudente pendant qu’elle se risque à explorer l’inconnu.

 

Une poignée d’hommes et de femmes se montrent prêts à affronter la mer pour poser le pied sur la flûte. L’objectif est simple : partir en reconnaissance. En fonction de ce qui peut être trouvé et l’état du navire, une petite partie de l’équipage pourrait être affectée à la flûte et assurer son retour, escortée par la goélette. Si le navire est en trop mauvais état pour naviguer efficacement sous cette météo, ils prendront ce qui peut est pris de pas trop lourd et de valeur. L’annexe est à l’eau, les bosses tendues afin de la maintenir le long du bord et éviter qu’elle ne vienne frapper les planches du Lovrac avec de l’élan. Les paquets de coton placés entre les deux coques ne sauraient encaisser tous les chocs. La troupe courageuse commence à descendre dans l’annexe quand Eirwyn interpelle sa capitaine.

« - J’suis avec vous. Je serais plus utile là-bas qu’ici. C’est un bâtiment des îles de cuivre. Ça se reconnaît au symbole sur l’écusson de son tableau arrière. Vous aurez besoin de quelqu’un capable de parler la langue. Nos gars sauront gérer un navire à la cap’. » Devant son assurance et sa témérité la capitaine fait un signe de la main pour lui dire de descendre. Elle ne peut pas aller à l’encontre des volontaires et puis il a raison. Elle salue Hannier, prêt à prendre ses fonctions, échange un regard avec sa bosco qui répond d’un hochement de tête puis un rapide baiser à Alessa avant de descendre à son tour sur la chaloupe.

 

À la force des rameurs la chaloupe s’approche lentement vers la flûte, traînant les aussières qui s’alourdissent d’eau. Entre deux souffles d’effort Eirwyn explique qu’il est vraiment curieux de voir une flûte de cette taille et de son pays ici. Les îles de cuivre n’ayant pas de grandes forêts, sa flotte se compose surtout de caboteurs avec peu de bâtiments capables de traverser le grand océan qui les sépare du nouveau monde. De ce fait les îles de cuivre n’ont aucune colonie dans cette partie du monde. Jarack, un des volontaires, répond que le manque de colonie n’a jamais empêché personne de faire du commerce, honnête ou pas. Ils s’approchent, de près elle est encore plus impressionnante, ses formes rondes la rendent un peu plus stable sur l’eau, son haut franc-bord cache à la vue des rameurs son pont. Il y a plusieurs sabords clos masquant sans doute des canons et une figure de proue à la forme d’un satyre rêveur. Ils passent le long du tableau arrière avec son écusson où a été gravée une île surmontée d’une couronne, figure de cet ensemble d’îles, ainsi que le safran qui va d’un bord à l’autre en fonction des vagues. Le nom « Alvec » est peint avec minutie.

Les pirates envoient quelques grappins avec agilité et se hissent, tout en hélant de nombreuses fois, mais pas une tête ne se montre ni une voix ne retentit. L’escalade du haut bordé est une épreuve difficile, le bois est ruisselant et la chute serait fatale. La fatigue accumulée par les jours de sommeil difficiles la rende encore plus dure. Mais ils arrivent tous sur le pont et sécurisent la chaloupe à des taquets, la collant le plus possible du bordé où ils tentent de glisser les quelques sacs de coton qu’ils ont pris pour cet effet. Dès la chose faite ils prennent vraiment conscience de l’environnement qui les entoure. Du bruit inconfortable des grincements de poulies, du tintement de la cloche, du tapement de la porte menant aux carrés des officiers, tandis que les cordages déchirés flottent dans les airs et que la barre à roue tourne sous les ordres du safran lui-même soumis aux caprices de la mer et du vent.

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